Suite au "déclin inéluctable ? " ( Le Monde , février 2013)
C'est le mental français qui flanche, avant tout, pas spécialement l'économie.
Parler du déclin français, voilà qui est nouveau .. depuis des années, on parlait pudiquement de morosité, sans insister, pour ne pas encourir d'accusation d'auto-flagellation, déclinologie, défaitisme anti-français... un peuple si intelligent ne décline pas, voyons!
Il y a 50 ans, Pierre Sallinger, ambassadeur de Kennedy, très proche de la France, s'inquiétait déjà des rigidités de la société française. De son côté, de Gaulle trouvait que les français sont des veaux... 40 ans ont passé, et la France redécouvre à chaque élection la richesse du tissus PME allemand et prescrit.... un nouveau brushing de notre environnement administratif. Consolons-nous car nous restons au moins, sans conteste, champions du monde toutes catégories ... de la consommation individuelle de tranquillisants.
A cette excellence, nous avons trouvé des éléments d'explication à l'étranger. C'était en Allemagne, il y a 15 / 20 ans. Parents de 4 enfants, nous les suivions dans leur scolarité allemande, au milieu de jeunes heureux de vivre, de créer, de jouer aussi. Les futurs bacheliers étaient certes moins "brillants", mais plus calmes et aptes à se prendre en charge pour entamer ensuite un cursus universitaire ou professionnel.
En entreprise, nous rencontrions des jeunes travailleurs contents de leurs premières petites responsabilités, soucieux de continuer à apprendre, assumant en autonomie leur propre décollage : (was macht die Arbeit ? ... comment ça va le boulot ? : es macht Spass...ça me plaît). Tous contents, les allemands ? non bien sûr. Là-bas, les mécontents cherchent autre chose et changent. Quel contraste à notre rentrée en France, où l'ambiance au travail nous est apparue fondamentalement morne ( qui n'a pas entendu ces "vivement vendredi qu'on se couche" ?). Etait-ce là fatalité génétique ? non, mais le résultat d'un déterminisme culturel, allemand ou français.
L'exception française, est notre bien commun. Il est ( re) produit par notre système d'Education, assurément de dimension Nationale, dans lequel nous avons tous été "plongés depuis tout petit". Rentrés en France, nous en avons brutalement (re)découvert une facette, ce stress des familles qui vivent la scolarité, l'entrée en maternelle, au collège, la rentrée d'automne, la période des choix d'orientation, le Bac etc... En ces diverses dates du calendrier annuel, la France entière revit la mobilisation générale de 1914. Et, par dessus tout, domine l'éternel besoin obsessionnel de se rassurer et d'avoir des enfants " en avance ". A l' Ecole de l'angoisse....
Le(s) systèmes scolaire(s) allemand(s) n'est pas la panacée, mais au moins produit-il des jeunes générations plutôt émancipées, entreprenantes, robustes; la France sort des générations plutôt « poussées » , genre plantes de serre fragiles, peu résistantes en milieu naturel - pré-disposées aux tranquillisants – et ce au prix de pertes élevées. A supposer que nos enfants soient «en avance» ils se font "rattraper" à l'âge adulte par des générations plus équilibrées au delà du Rhin, où la profusion de gens de qualité, artistes, philosophes, sportifs, scientifiques, commerçants, urbanistes, entrepreneurs, inventeurs etc..... ne peut être mise en doute.
Nous nous sentons un peu dépassés? Ne cherchons pas des coupables ! cherchons des causes. En fait, nos dirigeants ont péroré comme Cyrano et flatté notre douillette illusion d'une France pleine de son Savoir, Grande Nation et chef d'Europe, assise sur ses ogives nucléaires - autres tranquillisants - aussi illusoires qu'une ligne Maginot à l'ère de l'économie ou du terrorisme mondialisés.
Voyons aussi que notre système éducatif étouffe l'initiative, l'envie d'entreprendre, ou même la prise de responsabilité. Notre école, fidèle reproduction de la société, instille à nos enfants un message à dominante fortement paralysante et un système infantilisant : Seul le Savoir est pur, l'agir et le faire sont suspects, l'économie est malsaine, l'entreprise pue, l'argent est en soi un facteur d'injustice... Elle impose en outre des rythme scolaires avec des emplois du temps à l'école et à la maison que refuseraient bien des adultes au travail. De cette école de l'impuissance, trop de français sortent fatigués, lessivés,amputés, et attaquent la vie active à reculons.
Tandis que le jeune allemand aura appris à intègrer l'école à sa vie d'adolescent et à répartir l'effort et le loisir, notre école accapare la vie des ados français, qui rêvent majoritairement d'échapper à son emprise. Travail-choix d'un côté, travail-contrainte de l'autre. Du primaire aux prépas, cette école tentaculaire , notre première image du monde des adultes et du travail, imprime dans les jeunes cerveaux le portrait angoissant d'une société, qu'elle incarne par son système prenant, entièrement cadré, rempli d'obligations associées à une discipline subie et démotivante qui consiste à se taire, écouter l'enseignant, avaler le savoir et exécuter, et dont le sens collectif et le développement personnel sont absents. L'empilement des classes d'âge passées à une telle moulinette débouche sur un peuple globalement sans ressort, et majoritairement désireux de devenir fonctionnaire. Finalement, n'y aurait-il pas du vrai dans le cliché aussi éculé qu'agaçant du " français travaillant pour vivre, l'allemand vivant pour travailler" ?
L'ennui est que l'image portée par notre école préfigure assez bien la réalité française, son mode d'exercice de l'autorité, autoritaire dans son style comme dans ses structures, que ce soit celle du Maire, du PDG ou du Président de la République. Il est révélateur que les jeunes français en stage à Berlin - ceux qui ont osé l'étranger ! - interviewés au cours des festivités du cinquantenaire franco-allemand, aient apprécié d'avoir tout de suite des responsabilités, et pour certains, déjà perdu l'envie de revenir en France.
Pour permettre aux jeunes de grandir, notre société d'adultes doit descendre de son piédestal, apprendre à transférer du pouvoir, créer des espaces de liberté. Elle doit repenser l'école, ses objectifs, ses missions, ses moyens humains, les profils, la pédagogie, l'organisation.... Ne spéculons pas sur une mise à l'écart des affreux britanniques ni sur l'illusion d'une démographie allemande en déclin, pour attendre, bras croisés, un imaginaire triomphe français en Europe vers 2040 ; l'asphyxie et les déchirements internes nous guettent. Quels que soient nos atouts par ailleurs, s'il y a risque de "déclin inéluctable", il est dans l'état de notre mental et de notre cohésion. La démoralisation nous gagne, parcequ' au fond nous avons conscience d'être enfermés dans un système autobloquant.
L'économie n'est pas la cause, elle n'est qu'un terrain d'application parmi d'autres d'un système sociétal qui nous plombe, dès le plus jeune âge, sous le poids écrasant d'un savoir plutôt stérile et d'un autoritarisme, visible ou non, mais omniprésent.
En 10 ans, l'Allemagne a corrigé certaines faiblesses de son système éducatif, où elle obtient déjà des résultats en nette amélioration. Nos faiblesses éducatives, différentes, relèvent de soins différents. Il nous reste à vouloir les soigner, et pour cela à accepter de remettre en jeu, pour un temps, un peu de notre superbe exception française. Courage ! la voie est étroite, mais le potentiel de progrès est énorme, il dépasse largement la seule dimension des résultats scolaires des enfants.